Peintures sur carton, encadrée sous verre 30X40cm
Gérard Thoemus est né en 1960 à Lyon.
Il vit et travaille à Paris
Serge Marthoud, ancien élève de Normale Sup. de Cachan, travaille en temps que peintre plasticien depuis 20 ans à Paris. D’abord sous le non de Serge Aackener, de 1986 à 2000, il participe aux différentes recherches et manifestations du groupe Jeune Peinture- Jeune Création , dont il sera membre du comité de sélection puis d’organisation pendant sept ans. Cette collaboration sera l’occasion de nombreuses rencontres et confrontations avec des plasticiens contemporains venus de divers pays, tels que Marie-Hélène Labordes, Albert Lobo, Hidéo Morié ou Carole Benzaken. C’est ainsi qu’outre l’exposition annuelle Quai Branly, se sont montées plusieurs manifestations collectives à Bruxelle, à Hong Kong, à Paris et dont le parti pris était de faire un état des lieux de la jeune création contemporaine. En 2000, il quitte l’aventure collective pour continuer ses recherches personnelles et en profite pour changer de nom. Il prendra celui de Gérard Thoemus, (anagramme complet de son propre nom) sous lequel il travaille aujourd’hui.
Sa démarche actuelle utilise la peinture à son niveau le plus simple : celui d’une pâte, d’une boue colorée qui conserve en séchant le parcours de l’esprit qui part à l’aventure, sans projet défini ou idée préconçue et en retrace les rencontres et les tribulations. Cela le conduit à questionner ce curieux intermonde qui sépare la représentation du non-figuratif, et à organiser différents scénarios dans lesquels la trace du geste se trouve confrontée avec la polyphonie secrète de ses intentions.
Thoemus expose à Peinture Fraiche depuis 2016
Le mystère
Souvent, j’ai remarqué : le mystère n’aime pas qu’on l’aborde de front. Je ne sais si cette loi est vraiment générale mais elle se vérifie toujours quand moi, je suis à la manœuvre. Lorsque je m’attaque à un sujet obscur, tel que l’invisible, ou tout autre principe ambigu, je n’obtiens que des généralités pompeuses. Par contre, la façon dont je rince mes pinceaux ou réchauffe quelques pommes dauphines en les jetant dans la poêle me fait trouver des lois qui engagent l’univers entier.
J’ai donc appris à biaiser. A chercher le bon angle, qui n’est ni celui de la fuite ni celui de l’agression et qui permet d’éviter le tigre tout en l’observant.
L’apprentissage a été facile, je dois le reconnaitre. Et d’un naturel stupéfiant. A croire que j’étais né biaiseur et, en plus, avec un don.
Ainsi, il m’arrive de penser à autre chose quand je fais de la peinture mais tout en la gardant à l’œil. Je suis conscient d’être un peu à l’écart, en retrait, attentif en somme à cette inattention. Cela n’empêche nullement mon geste de poursuivre son chemin et parfois d’un rythme plus libre, comme si je lui avais ôté un poids.
Bien sur, ce comportement soulève quelques questions, dont la première est de savoir quel moi en moi dirige le pinceau.
Et voilà. Le mystère. Précisément.
Je m’efforce de comprendre
Oui je m’efforce de comprendre. Il m’arrive de réfléchir, allongé sur la banquette et aussi lorsque je peins. Pose alors le pinceau, note l’idée qui surgit d’un coup, au milieu d’un rose ou d’un jaune paille. Ce matin, c’était à propos de la lenteur du geste, qui prend le temps de ressentir et dans la foulée, j’ai critiqué la rapidité de la vie moderne. J’ai noté ça très vite pour ne pas oublier et voilà le genre de considérations, parfois illisibles, que je retrouve sur des feuilles volantes ou des pages de carnet. La plupart du temps je ne me rappelle même plus les avoir écrites.
Je suppose que c’est normal. Je veux dire, je passe tant de temps, jour après jour, à faire de la peinture, que j’ai fini par croire qu’il y avait là quelque chose d’existentiel, attendant d’être découvert et compris.
Donc, je creuse cette mine à coup de brosses et de réflexions. Mais à ce jour, je suis un peu perplexe sur la nature exacte de ce minerai, que j’extrais et étale de diverses façons.
Les lunettes
Mais non, je ne suis pas fou. Oui, je peins avec des lunettes de ski, jaune, alors que je suis dans mon atelier.
Mais je ne suis pas fou. Du tout.
Cette histoire de lunettes s’explique très bien : ces derniers temps, j’éprouve quelques difficultés à voir les choses telles qu’elles sont. Alors, aujourd’hui, je tente une expérience. Je souhaite… comment dit-on déjà ? Oui, c’est ça : changer mon rapport au monde.
Ce qui tombe bien, puisque c’est le principe même de l’Art Contemporain. L’Art Contemporain change notre rapport au monde -c’est écrit dans tous les catalogues – et ça veut dire qu’après une exposition, on ne le voit plus de la même façon. Le monde, je veux dire.
Donc ce matin j’ai laissé de côté la peinture de la veille et j’en ai commencé une autre. Cela fait deux heures maintenant que je travaille dessus, que je m’efforce de penser et d’agir normalement tout en sachant qu’en raison des lunettes, tout ce que je vois est faux.
C’est une expérience. Je fais ça pour voir ce que ça donne. Pour voir si ça change effectivement quelque chose.
L’affaire, vous le voyez, est plus censée qu’il n’y parait. Avec ce simple appareillage, accessible à tous, je teste un « appareil optique à coefficient stable » avec lequel, certes, le blanc se transforme en jaune, le bleu en vert et le rouge en orange, mais avec une régularité tout à fait réconfortante.
Ce qui est un progrès. Indéniablement.
Hélas, très vite je dois déchanter. Au bout de dix minutes, stupéfait, je constate que tout me parait normal. Mon cerveau s’est habitué et l’évier dans lequel barbotent mes pinceaux, la bibliothèque, le radiateur, tout, absolument tout, me semble exactement comme d’habitude, c’est à dire ni plus ni moins jaune que d’ordinaire.
Je trouve décourageante cette abominable faculté que nous avons de nous adapter à tout et à n’importe quoi, en fait. De ne même plus remarquer à quel point notre vision du monde est fausse. Cela explique beaucoup de choses à mon avis, un avis que je ne tiens pourtant pas à développer ici, devinant à quel point tout cela est implacable, désespérant, moche, capable d’attiser une colère en moi déjà proche de son niveau d’alerte.
Le texte de présentation
Je veux écrire un texte de présentation. Personne ne lit ce genre de chose, bien entendu. Tout le monde sait à quel point ces phrases vous embrouillent au lieu d’éclairer, mais j’y tiens quand même, pour avoir autre chose à répondre qu’un vague bredouillis au cas où quelqu’un me poserait des questions.
C’est la raison pour laquelle je n’arrête pas de recommencer. Toujours le principal m’échappe. Sous la pression impatiente de ma volonté, l’idée fragile se fragmente comme une bille de mercure en idées plus petites mais tout aussi insaisissables.
Quoique j’écrive, ce n’est jamais ça. J’en bave, vraiment. Des pages et des pages aux lignes raturées.
Je veux tout dire parce que tout se tient. Je souhaite parler à la fois du rôle de l’action, de l’expérimentation, de ce curieux principe d’incertitude qui en varie le cours, du rôle quasi mystique de la nuance, mais ce que je veux par-dessus tout, j’y mets un point d’honneur, c’est être compréhensible.
Cela avait pourtant bien commencé. Assis devant ma feuille, dans le calme de l’atelier, les premiers mots m’étaient venus sans effort :
« Fait-on de la peinture parce qu’on a quelque chose à dire ? avais-je écrit d’un trait avant d’ajouter : une telle question me laisse sans voix. »
Et c’était bien le problème. Il me semblait déjà avoir tout exprimé. L’ennui, c’était qu’un texte d’introduction d’à peine deux lignes ne faisait pas sérieux. Alors, devant le refus obstiné de mon cerveau à poursuivre dans cette veine, je décidais de changer l’approche :
« Me donner à fond. Peindre de toutes mes forces. Depuis le temps que j’entends les sportifs parler de leurs « ressources intérieures », n’est-il pas temps que je les explore moi-même ? »
Voilà qui était bien trouvé. Un bon début, me félicitais-je avant de constater que, là encore, la suite ne venait pas.
Trois cigarettes et de nombreuses ratures plus tard, j’abandonnais cette nouvelle piste et j’en cherchais une autre plus facile à développer. Celle-ci se présenta alors que je respirais à fond pour me décontracter :
« Lâcher prise. Se laisser aller. La voie de la facilité se révèle un chemin très difficile. Je n’aurais jamais cru. »
Oui, soupirais-je en relisant cette phrase. Et à ce propos, cela finissait par faire beaucoup de choses que je n’aurais jamais cru. Surtout si, repensant à ma vie, je les mettais bout à bout Biffant encore une fois ce que j’avais écrit, je décidais de me concentrer uniquement sur le thème de la peinture. Et ma façon de procéder. Cela donna :
« Le flou du geste est ici une vertu. il exprime le désir qui veut et ne veut pas, soupire après ceci aussi bien que cela et pour lequel tout choix est une déchirure. Le véritable sujet du tableau ce n’est pas l’image, mais les innombrables petits évènements picturaux, qui sont…qui sont… «
Qui sont quoi, nom de dieu ?
Et voilà. Je bloque à nouveau. Que tout cela est pénible. Le coude sur la table, je me comprime le haut du crâne en appuyant fortement avec mes doigts, mais plus rien ne veut sortir.
Est-ce que j’en vends ?
Lorsque j’avoue que je suis peintre on me demande toujours si j’expose et si j’en vends. C’est normal. Alors je réponds oui en haussant légèrement les épaules. Oui une galerie montre de temps en temps mes travaux et oui, j’en fourgue trois ou quatre, habituellement.
Fourguer. D’après le dictionnaire cela consiste à céder à bas prix quelque chose a quelqu’un, pour s’en débarrasser ou vendre à un receleur des objets volés.
D’après moi, ce terme exprime surtout ma perplexité. Je ne sais pas parler d’Art. Je n’ai jamais de discours préparé, pas de position nette et pour parler de ma peinture, je dois d’abord traquer, et puis réunir, ce grand troupeau des mots éparpillés en moi dans les alpages de ma cervelle. C’est pour ça que la plupart du temps, je laisse tomber.
Je n’ai pas rien à dire, bien entendu. C’est simplement diffus, écœurant de nuances et je ne vois pas qui voudrait entendre ça sans le secours de deux ou trois bières.
Car le mieux, dans la peinture, est surtout ce moment où l’on peint. Le seul fait de toucher la toile, de l’effleurer du bout d’un pinceau suggère tant de possibilités que la réflexion abdique, dépassée par le choix. C’est un instant mystique. Le geste peine à se laisser aller, perdu, sans consigne ni rien pour le guider. Il s’en remet à une vague boussole qui n’indique pas le nord mais la personnalité. Hélas, c’est une notion aussi peu cernable que l’idée de forêt quand on est soi-même une branche.
La tache
Debout au milieu de la pièce, je me tâte, indécis sur le sort que je dois réserver à ce vert, sombre, tout en haut du tableau.
Semblable à une moisissure, cette tâche s’est imposée à mon regard et j’en suis resté saisi : ne dirait-on pas la silhouette d’un homme, debout, enveloppé d’une cape et marchant courbé par un terrible effort ?
Oui, n’est-ce pas ?
Bien sûr, effort de quoi, je vous le demande un peu. S’il y en a un qui bosse ici, c’est moi. Mais c’est aussi ça, la magie de la peinture.
Quoiqu’il en soit, je dois reconnaître que cette apparition est fort impressionnante. La pâte, pressée par le pinceau, montre mille petits détails à peine suggérés. Nul doute que si j’avais voulu peindre un tel personnage, je n’y serais pas arrivé aussi bien. Il y aurait eu de la lourdeur, un dessin plus factice, imité et contraint. Mais ici, non. Cette silhouette à la cape et au corps trapu semble animé d’une vie authentique et l’on jurerait qu’elle marche en direction du centre, ou peut-être à ma rencontre, puisque je me tiens penché, près de la toile, à me demander s’il y a ou non quelque chose dans sa poche de pantalon puisque le trait s’évase à cet endroit.
Puis je scrute le reste de la peinture et le fouillis des touches. Au cas où d’autres curiosités montreraient par trop de coïncidences qu’il ne peut s’agir ici d’un simple hasard
Un homme d’action
Je peins parfois sans bien savoir ce que je fais tout comme je parle de temps en temps à tort et à travers. Je me perds, je reviens, j’efface et je m’énerve contre ce manque de clairvoyance mais au fond, je sais que ce remord est inutile : l’erreur fait partie du processus. Ce qui compte, ce n’est pas d’avoir raison mais de créer un mouvement capable à son tour d’en engendrer un autre.
Ainsi, comme dans la vie de tous les jours, une bourde peut me rendre aimable et convaincant, et mes erreurs en peinture ouvrent souvent plus de portes qu’elles n’en referment. Elles me font accéder à de l’imprévu.
Bien sûr, tout le monde n’apprécie pas ce jeu de l’errance et de la surprise. Certains sont partisans de projets plus cadrés. Et l’aspect répétitif, un brin monotone de ma propre existence pourrait laisser croire que je partage cette rigueur. Mais c’est oublier ce qu’en dit Montaigne : l’habitude est un filtre de Circé, qui tient les fléaux loin de nous et nous laisse à notre nature.
La mienne aime ne pas savoir d’avance le résultat. Ni la manière dont les choses vont tourner. Ce suspens la ravit et l’aventure de peindre me prend tout entier. Je n’ai pas de gout pour les projets qui réduisent l’acte de faire en un simple moyen de parvenir au but.
D’ailleurs je ne peins plus maintenant pour faire des tableaux. Mais pour vivre tout ce qui se passe lorsque je suis dans l’action. Gérard Thoemus